Qui, aujourd’hui, se souvient qu’il existait un château à Bornuit, ou plutôt une maison forte? En effet, celle-ci a quasi disparu au soir d’un incendie, il y a quelque 15 années. La grange «du dîme» brûla à cette occasion et la maison forte, déjà très fortement minée par l’humidité, dut être quasiment rasée.
En parcourant la collection de notre journal de Bex pour l’année 1943, je tombai dans le supplément de Noël sur un témoignage très intéressant.
Cependant, avant que de lire ce témoignage, essayons de déterminer I’état de nos connaissances quant à cette maison forte. Mis à part le fait que nous nous souvenons très vaguement de ce que nous prenions, à l’époque, pour une vieille masure, les écrits à son sujet sont quasi inexistants (fig. 1 et 2).
Alfred Millioud, dans son «Histoire de Bex», tome 1er, relève que le bourg de Bornuit fut fondé par les de Baiz vers 1179. La fondation dudit bourg devait répondre à un besoin important puisqu’il se trouvait en plein marécage avec son cortège de maladies et d’accidents en cas de crues du Rhône. Aussi, il semble évident que le passage dans cette région de la route d’Italie, avec son trafic, nécessitait une présence physique des de Bex (les seigneurs) par le moyen d’un bourg et d’une maison forte.
Fr. Isabel ne fait que citer notre maison forte (RHMB No IV, p. 7), tout en précisant qu’il y eut une reconstruction, mais quand? Mystère.
Munis de ces quelques données, il nous est présentement possible d’aborder le témoignage No 1, à savoir celui de «J. Wd».
«Le voyageur de passage à Bornuit, à faible distance de la gare, agglomération où se succèdent quelques maisons de campagne, a son attention attirée tout particulièrement par l’ampleur et I’état d’ancienneté de l’une de ces bâtisses. Pénétré d’un sentiment de philosophie, amateur de tout ce qui témoigne d’un passé parfois fort éloigné, guidons nos pas vers cette antique demeure. Le goût apporté par les constructeurs nous révèle I’œuvre d’une aristocratie des temps féodaux. Le bâtiment a son entrée au couchant, où lui est adossée une tourelle avec meurtrières au pied de laquelle se trouve une porte de forme ogivale avec montants en pierre de taille aux angles à moulures. La tourelle contient un escalier aux marches spacieuses disposées en spirale donnant accès aux diverses pièces supérieures. Les angles du bâtiment sont en moellons taillés et très bien conservés. Aucune symétrie n’existe dans la disposition des fenêtres; on les a placées au petit bonheur. Avec l’autorisation du co-propriétaire, M. Jaquerod, hasardons-nous à pénétrer à l’intérieur. À gauche de la porte d’entrée, dans le mur de façade, se trouve une meurtrière avec orifice circulaire à sa base. La porte, assez bien conservée, en bois dur, taillée en partie à la hache, possède une fermeture des plus rustiques consistant en une pièce carrée de 8 à 9 centimètres de côté, faisant fonction de verrou à mi-hauteur derrière et sur sa largeur totale. Au plein pied, une première pièce. La cuisine carronnée, n’ayant qu’une fenêtre au grillage métallique, son foyer pourrait bien avoir vu rôtir le sanglier et d’autres gibiers. Quelques marches accèdent à une première chambre, vaste, carrée, bien éclairée, d’où l’on jouit d’une vue exceptionnelle. On communique d’une pièce à l’autre par de petites portes basses, ogivales, avec moulures décoratives. Par l’escalier de la tourelle, on accède à l’étage supérieur, ou les pièces se succèdent à droite et à gauche d’un corridor. La tourelle semble avoir été raccourcie, les escaliers semblent avoir correspondu plus haut, une restauration est marquée au sommet. Que s’est-il passé, incendie ou cyclone?
Quelle est l’origine de cette construction, quel est son passé, et combien de générations se sont succédées dans ces vieux murs aujourd’hui abandonnés?
Accordons-lui une jeunesse florissante, contemporains du château de Duin, son compagnon témoin de tant de siècles. Aucune inscription, aucune date n’apparaît pouvant prouver son âge. La lumière est donnée par les écrits historiques dans cette phrase: “en 1179, les nobles signent un traité avec l’évêque de Sion; vers la même époque, ils construisent un château sur la colline de Chiètres et fondent le Bourg Neuf, aujourd’hui Bornuit”. Il est permis de se demander pourquoi a-t-on choisi cet emplacement? Une route abandonnée depuis fort longtemps se trouvait à proximité du château, la “Route de Vevey”, dont il est fait mention et où le passage se révèle dans la prairie voisine.»
Chose intéressante, notre premier témoignage ayant paru dans le supplément de Noël, celui de la fin de l’année y vit un complément de la plume d’une autre personne signant «F. D. M.».
«Je viens de lire l’article intéressant du supplément à votre Journal de Bex d’hier sur le Château de Bornuit.
Lorsque j’habitais à Bex le quartier de la gare, j’eus fréquemment l’occasion de m’approcher de cette vieille construction et de la visiter.
Elle appartenait en partie en indivision à la famille Clément avec laquelle je faisais quelques affaires et ainsi l’occasion de visiter l’intérieur, si bien décrit par votre correspondant M. J. Wd.
J’avais remarqué dans la première chambre, vaste, carrée, bien éclairée, une belle cheminée ancienne; mais cette pièce était malheureusement partagée dès le milieu de cette cheminée par un galandage en planches.
On voyait encore des parties de frises sculptées d’une belle facture ayant tenu tout le haut des parois et contre celles-ci des restes de peintures et fresques anciennes.
M. Clément père me disait que les combles avaient brûlé dans le commencement du siècle passé (1800 environ) et que I’état de décrépitude avait commencé dès lors, ce qu’on remarque très bien depuis l’extérieur.
ll faut donc croire que ce vieux château a été habité autrefois par une ou des familles nobles et fortunées; la famille Asperlin vraisemblablement qui a joué un certain rôle en Valais et dans le Pays de Vaud.
La grange qui voisine s’appellerait la grange “du dîme”. Elle est remarquable par sa forte et belle charpente, si elle existe encore comme je l’ai vue il y a près de 40 ans.»
Relevons tout d’abord que ce second témoignage remonte aux environs de 1903, alors que le premier nous paraît moins ancien (le bâtiment semblant déjà plus avancé dans son abandon).
Actuellement les fondations existent toujours, la maison a dû être abattue jusqu’à quelques mètres du sol et ainsi abaissée, elle sert aujourd’hui de remise (fig. 3).
François Gillard dans la revue du Mandement de Bex n°27 (1994)
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